Mercredi
22 mai 2013
Une
journée avec Dominique Paquet
14h, Maison des Auteurs, rue Ballu à Paris.
Quel plaisir
de voir autant de jeunes au café de la Maison des Auteurs ! Ce lieu
habituellement si feutré grouille de collégiens et de lycéens venus assister
aux restitutions des ateliers animés en Ile-de-France par des auteurs EAT. J’y
retrouve Dominique Paquet, qui arrive tout juste de Cergy où elle a animé un
« café-philo » sur le thème de la vengeance auprès de deux classes
de SEGPA. « L’un des élèves avait des points de suture, me dit Dominique, il
voulait se venger de ce qui lui était arrivé. » Les élèves insistent
souvent sur la nécessité de la vengeance. Dominique les invite à se poser des
questions et à remettre en perspective la relation à l’Autre. « Faut-il
que les pays anciennement colonisés se vengent de ce qu’ils ont subi pendant la
période coloniale ? » ou encore « Mon oncle est mort pendant la
guerre. Dois-je me venger ? » A l’énoncé de ces questions, je
m’interroge moi-même, furtivement, sur la place que tient la vengeance dans ma
vie. Bon… Je me garde bien d’aller plus avant dans l’introspection et me tourne
vers Dominique : D’où te vient ce goût pour la philosophie ? La
réponse fuse : « De mon père. Il était très raisonnable. »

La journée sera avant tout EAT. La restitution des
ateliers cet après-midi et un Question de
théâtre sur les relations auteurs-metteurs en scène ce soir. Collégiens, lycéens, professeurs et auteurs, nous
descendons tous dans le petit théâtre de la Maison des Auteurs. Nous
sommes accueillis par Louise Doutreligne, Présidente des EAT, qui nous rappelle
que « L’Art sert à transformer la vie » puis les présentations
d’ateliers s’enchaînent. Nathalie Rafal et Bruno Allain lisent une scène écrite
par des collégiens, qui décrit la rencontre entre Fatima, femme de chambre du
XXIème siècle et Philippe de Vertec, chevalier du Moyen-âge. La rencontre est
cocasse et les personnages vont droit au but, le public rit et quelqu’un dit
« Ça va vite ». J’entends Dominique commenter : « C’est ce
dont on rêve tout le temps, que ça aille vite ». Je ne l’interroge pas sur
cette phrase énigmatique, mais sur le sens de son engagement aux EAT :
« C’est un combat militant – Le développement de
l’écriture contemporaine et la défense du statut de l’auteur – une mission qui
m’a permis de m’inclure dans un groupe de réflexion et d’action politique. Nous
avons été en partie entendus et nous avons eu de belles réussites : le
Théâtre du Rond Point, la mise en place de résidences d’auteurs dans les
villes, la formation des auteurs enfin reconnue… » Des échecs ? Dominique me répond tout de go : « L’échec,
c’est qu'il y a encore trop peu d'auteurs qui voient leurs pièces montées de leur vivant. Seuls 8% des auteurs jeune-public sont édités et montés (chiffre cité par Nicolas Faure, dans son ouvrage sur le jeune public). Et
puis, actuellement, beaucoup de choses périclitent, à commencer par l’éducation
artistique. »
C’est vrai. Les ateliers artistiques sont menacés et ce
n’est pas le moindre des dégâts collatéraux de ces coupes budgétaires
provoquées par la crise. Quand on voit la qualité du travail qui nous est
présenté aujourd’hui et la fierté des élèves qui ont travaillé avec Alain
Bellet, Julien Daillère, Sabine Revillet
ou Ouarda Zerarga, on se dit que décidément tous les élèves devraient avoir
accès à ce genre de projets, qui participent à la construction de l’individu, à
l’enrichissement de son imaginaire, à la mise en place de son sens critique. En
transformant la vie, l’art permet aussi aux individus de devenir des citoyens.
Mais on coupe dans les budgets et ce manque de moyens donne envie de hurler... Voilà
qui nous ramène au thème du cri, développé par Bruno Allain, qui lit avec
Dominique quelques dialogues écrits par des élèves de Guyane :
- Bon
alors tu me suis ?
- Barre-toi
avec tes disquettes !
Au café du coin de la rue, je poursuis ma conversation avec Dominique : au milieu de toutes ces activités, trouves-tu le temps d’écrire ?
« Pas autant que je le voudrais. Mais j’ai moins
besoin d’écrire qu’avant. Il y a différents âges de l’écriture, on ne peut pas
écrire tout le temps… A un moment de ma vie d’écrivain, est venu le temps de
prendre de la distance, de rendre à la communauté ce qu’elle m’avait donné. J’ai
besoin d’être sur le terrain. C’est mon côté Fantômette, explorer le terrain à
tout prix, casser la solitude de l’auteur, qui est pesante. Il faut aller voir dehors,
pour ne pas toujours tourner autour de son nombril, pour ne pas faire parler
les puces du bois… »
C’est le sens de ton poste de co-directrice de l'Espace
Culturel Boris Vian des Ulis ?
« La co-direction des Ulis me rapproche d’un
territoire que je connais bien. C’est intéressant d’être présent politiquement,
de développer les rapports au public, de permettre à des artistes de tourner…
Evidemment, cela me happe, m’empêche un peu de me retrouver avec moi-même pour
écrire. »
« Oui. C’est aller à la recherche du traumatisme
vital qui a provoqué le désir d’écrire. C’est de ce traumatisme que sourd
l’écriture. C’est une matière originelle. Au fil du temps on la retrouve. J’ai
beaucoup souffert de solitude. J’ai voulu m’en extraire en explorant le monde.
Je me suis donnée des injonctions de voyages, aller du nord au sud, d’est en
ouest, traverser l’Atlantique, aller en Mongolie, prendre le Transsibérien. Je
l’ai fait. J’ai écrit sur l’Atlantique, je viens de terminer une pièce sur la
Mongolie et la Russie, La curiosité des
marmottes, écrite dans le cadre du projet Partir en écriture, mis en place
par le Théâtre de la Tête Noire de Saran… »
Quelle est ton actualité d’auteur ?
« J’écris une pièce pour Jean-Marie Broucaret et le
Théâtre des chimères. C’est une pièce sur un simple d’esprit, que j’écris au
bord du plateau. Elle sera montée en 2014, si tout va bien. »
Des projets ?

L’heure tourne et je laisse Dominique relire quelques
instants ses notes pour le Question de
théâtre qui va bientôt débuter dans les salons de la SACD. Une dernière
question, avant de la laisser présenter les invités et modérer le débat :
nous allons parler des rapports auteurs-metteurs en scène, quels sont les
metteurs en scène avec lesquels tu aimes travailler ?
« Patrick Simon bien sûr, nous avons une telle
complicité, il commence une phrase et je la termine, ou l’inverse, Jean-Marie
Broucaret, Véronique Durupt, Jean-Claude Gal, Cécile Tournesol, qui a fait une
très belle mise en scène de ma pièce Les échelles
de nuage. Le dialogue auteur-metteur en scène est fondamental, il permet de
verbaliser les impasses d’écriture, c’est une rencontre à la fois humaine et
artistique. »
Il y a du monde dans les salons de la SACD. La qualité
des intervenants attise la curiosité de tout un chacun. Dominique présente les
enjeux du débat et les invités du jour, soit trois duos d’auteur-e-s-metteur-e-s en
scène, Gilles Granouillet – François Rancillac, Françoise du Chaxel - Sylvie Ollivier, Stéphan Wojtowicz – Panchika Velez.
Sophie Proust, maître de conférence, intervient également dans le débat.

Cette Journée avec
Dominique Paquet se termine dans le
salon d’hiver de la SACD. Dominique y retrouve une amie de longue date,
Marie-Françoise, qui se définit comme une spectatrice Lambda : « En fait, les auteurs d’aujourd’hui, on ne les
connaît pas, me dit Marie-Françoise. Je suis très admirative, poursuit-elle,
car vous travaillez dans l’ombre. Lorsque je vais au théâtre, c’est sur le nom
des acteurs, parfois sur celui du metteur en scène, rarement sur celui de
l’auteur. Il faudrait qu’on vous connaisse un peu plus… »
Nous nous quittons. Je prends le RER. Je laisse vagabonder dans ma tête ces noms de philosophes et de romanciers dont Dominique m'a parlé avec beaucoup d'admiration tout au long de cette journée : Jacques Rancière, Ruwen Ogien, Virginia Woolf, Henry James, Thomas Mann, Kafka, Ernst Weiss, Pierre Bayard, Muriel Cerf... jolis compagnons de nuits à venir. Dominique, quant à elle, est déjà dans l'organisation des jours à venir. Au programme, deux cafés-philo, l'un sur Spinoza, l'autre sur le thème du Courage, dans une maison de retraite. "J'aime rencontrer tous les âges."
Et puis aussi :
"Je voulais avoir plusieurs vies."
Luc Tartar
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