dimanche 26 mai 2013

Une journée avec Dominique Paquet



Mercredi 22 mai 2013


Une journée avec Dominique Paquet

14h, Maison des Auteurs, rue Ballu à Paris. 

Quel plaisir de voir autant de jeunes au café de la Maison des Auteurs ! Ce lieu habituellement si feutré grouille de collégiens et de lycéens venus assister aux restitutions des ateliers animés en Ile-de-France par des auteurs EAT. J’y retrouve Dominique Paquet, qui arrive tout juste de Cergy où elle a animé un « café-philo » sur le thème de la vengeance auprès de deux classes de SEGPA. « L’un des élèves avait des points de suture, me dit Dominique, il voulait se venger de ce qui lui était arrivé. » Les élèves insistent souvent sur la nécessité de la vengeance. Dominique les invite à se poser des questions et à remettre en perspective la relation à l’Autre. « Faut-il que les pays anciennement colonisés se vengent de ce qu’ils ont subi pendant la période coloniale ? » ou encore « Mon oncle est mort pendant la guerre. Dois-je me venger ? » A l’énoncé de ces questions, je m’interroge moi-même, furtivement, sur la place que tient la vengeance dans ma vie. Bon… Je me garde bien d’aller plus avant dans l’introspection et me tourne vers Dominique : D’où te vient ce goût pour la philosophie ? La réponse fuse : « De mon père. Il était très raisonnable. » 

Comédienne, auteure, universitaire, philosophe, ancienne Secrétaire Générale du Théâtre National de Bordeaux Aquitaine, actuelle déléguée générale des Ecrivains Associés du Théâtre (EAT) depuis 2004, co-directrice de l'Espace Culturel Boris Vian des Ulis… Dominique est une touche à tout dont j’admire la grande capacité de travail. « C’est une question de concentration et d’organisation, me répond-elle. Et puis c’est un destin : ne pas être toujours au même endroit. » Et sur le mode de la plaisanterie : « Il y a beaucoup de choses que je ne fais pas ; je ne fais pas de couture, pas de sport, je ne magasine pas tant que ça non plus... » Et pour conclure là-dessus : « J’ai une énergie d’action terrible, c’est comme si j’étais sous amphétamine sans en prendre. »  Voilà qui promet pour cette Journée avec Dominique Paquet, je vais devoir suivre le rythme ! 

La journée sera avant tout EAT. La restitution des ateliers cet après-midi et un Question de théâtre sur les relations auteurs-metteurs en scène ce soir. Collégiens, lycéens, professeurs et auteurs, nous descendons tous dans le petit théâtre de la Maison des Auteurs. Nous sommes accueillis par Louise Doutreligne, Présidente des EAT, qui nous rappelle que « L’Art sert à transformer la vie » puis les présentations d’ateliers s’enchaînent. Nathalie Rafal et Bruno Allain lisent une scène écrite par des collégiens, qui décrit la rencontre entre Fatima, femme de chambre du XXIème siècle et Philippe de Vertec, chevalier du Moyen-âge. La rencontre est cocasse et les personnages vont droit au but, le public rit et quelqu’un dit « Ça va vite ». J’entends Dominique commenter : « C’est ce dont on rêve tout le temps, que ça aille vite ». Je ne l’interroge pas sur cette phrase énigmatique, mais sur le sens de son engagement aux EAT :

« C’est un combat militant – Le développement de l’écriture contemporaine et la défense du statut de l’auteur – une mission qui m’a permis de m’inclure dans un groupe de réflexion et d’action politique. Nous avons été en partie entendus et nous avons eu de belles réussites : le Théâtre du Rond Point, la mise en place de résidences d’auteurs dans les villes, la formation des auteurs enfin reconnue… » Des échecs ?  Dominique me répond tout de go : « L’échec, c’est qu'il y a encore trop peu d'auteurs qui voient leurs pièces montées de leur vivant. Seuls 8% des auteurs jeune-public sont édités et montés (chiffre cité par Nicolas Faure, dans son ouvrage sur le jeune public). Et puis, actuellement, beaucoup de choses périclitent, à commencer par l’éducation artistique. »

C’est vrai. Les ateliers artistiques sont menacés et ce n’est pas le moindre des dégâts collatéraux de ces coupes budgétaires provoquées par la crise. Quand on voit la qualité du travail qui nous est présenté aujourd’hui et la fierté des élèves qui ont travaillé avec Alain Bellet, Julien Daillère,  Sabine Revillet ou Ouarda Zerarga, on se dit que décidément tous les élèves devraient avoir accès à ce genre de projets, qui participent à la construction de l’individu, à l’enrichissement de son imaginaire, à la mise en place de son sens critique. En transformant la vie, l’art permet aussi aux individus de devenir des citoyens. Mais on coupe dans les budgets et ce manque de moyens donne envie de hurler... Voilà qui nous ramène au thème du cri, développé par Bruno Allain, qui lit avec Dominique quelques dialogues écrits par des élèves de Guyane :
-       Bon alors tu me suis ?
-       Barre-toi avec tes disquettes !

Au café du coin de la rue, je poursuis ma conversation avec Dominique : au milieu de toutes ces activités, trouves-tu le temps d’écrire ? 
 
« Pas autant que je le voudrais. Mais j’ai moins besoin d’écrire qu’avant. Il y a différents âges de l’écriture, on ne peut pas écrire tout le temps… A un moment de ma vie d’écrivain, est venu le temps de prendre de la distance, de rendre à la communauté ce qu’elle m’avait donné. J’ai besoin d’être sur le terrain. C’est mon côté Fantômette, explorer le terrain à tout prix, casser la solitude de l’auteur, qui est pesante. Il faut aller voir dehors, pour ne pas toujours tourner autour de son nombril, pour ne pas faire parler les puces du bois… »
C’est le sens de ton poste de co-directrice de l'Espace Culturel Boris Vian des Ulis ?
« La co-direction des Ulis me rapproche d’un territoire que je connais bien. C’est intéressant d’être présent politiquement, de développer les rapports au public, de permettre à des artistes de tourner… Evidemment, cela me happe, m’empêche un peu de me retrouver avec moi-même pour écrire. »

L’écriture, c’est un travail sur soi ?

 « Oui. C’est aller à la recherche du traumatisme vital qui a provoqué le désir d’écrire. C’est de ce traumatisme que sourd l’écriture. C’est une matière originelle. Au fil du temps on la retrouve. J’ai beaucoup souffert de solitude. J’ai voulu m’en extraire en explorant le monde. Je me suis donnée des injonctions de voyages, aller du nord au sud, d’est en ouest, traverser l’Atlantique, aller en Mongolie, prendre le Transsibérien. Je l’ai fait. J’ai écrit sur l’Atlantique, je viens de terminer une pièce sur la Mongolie et la Russie, La curiosité des marmottes, écrite dans le cadre du projet Partir en écriture, mis en place par le Théâtre de la Tête Noire de Saran… »

Quelle est ton actualité d’auteur ?

« J’écris une pièce pour Jean-Marie Broucaret et le Théâtre des chimères. C’est une pièce sur un simple d’esprit, que j’écris au bord du plateau. Elle sera montée en 2014, si tout va bien. »

Des projets ?

« J’ai un projet avec Michelle Brûlé sur les femmes dans la guerre de 14. Et puis j’aimerais faire quelque chose de toute la documentation que j’ai accumulée, écrire un ouvrage de référence sur le théâtre et la philosophie, sur la philosophie de l’acteur. »

L’heure tourne et je laisse Dominique relire quelques instants ses notes pour le Question de théâtre qui va bientôt débuter dans les salons de la SACD. Une dernière question, avant de la laisser présenter les invités et modérer le débat : nous allons parler des rapports auteurs-metteurs en scène, quels sont les metteurs en scène avec lesquels tu aimes travailler ?

« Patrick Simon bien sûr, nous avons une telle complicité, il commence une phrase et je la termine, ou l’inverse, Jean-Marie Broucaret, Véronique Durupt, Jean-Claude Gal, Cécile Tournesol, qui a fait une très belle mise en scène de ma pièce Les échelles de nuage. Le dialogue auteur-metteur en scène est fondamental, il permet de verbaliser les impasses d’écriture, c’est une rencontre à la fois humaine et artistique. »

Il y a du monde dans les salons de la SACD. La qualité des intervenants attise la curiosité de tout un chacun. Dominique présente les enjeux du débat et les invités du jour, soit trois duos d’auteur-e-s-metteur-e-s en scène, Gilles Granouillet – François Rancillac, Françoise du Chaxel -  Sylvie Ollivier, Stéphan Wojtowicz – Panchika Velez. Sophie Proust, maître de conférence, intervient également dans le débat. 

Au cours de la soirée, sont évoquées les notions de respect de l’œuvre, de l’engagement du metteur en scène à défendre  une écriture, des éventuels conflits artistiques, qui tournent souvent autour de la question de savoir quelle œuvre on diffuse, celle de l’auteur ou celle du metteur en scène. Je pense à cette très belle phrase d’Enzo Cormann, qui présente l’art de l’auteur comme étant celui de l’effacement…l’auteur étant contraint de laisser son travail entre les mains du metteur en scène. Ce à quoi François Rancillac semble opposer son propre effacement devant la langue de l’auteur. « Je suis au service d’une écriture, dit-il. Je ne suis rien sans l’auteur, sans les comédiens. C’est un travail d’équipe… »

Cette Journée avec Dominique Paquet  se termine dans le salon d’hiver de la SACD. Dominique y retrouve une amie de longue date, Marie-Françoise, qui se définit comme une spectatrice Lambda : « En fait, les auteurs d’aujourd’hui, on ne les connaît pas, me dit Marie-Françoise. Je suis très admirative, poursuit-elle, car vous travaillez dans l’ombre. Lorsque je vais au théâtre, c’est sur le nom des acteurs, parfois sur celui du metteur en scène, rarement sur celui de l’auteur. Il faudrait qu’on vous connaisse un peu plus… »

Nous nous quittons. Je prends le RER. Je laisse vagabonder dans ma tête ces noms de philosophes et de romanciers dont Dominique m'a parlé avec beaucoup d'admiration tout au long de cette journée : Jacques Rancière, Ruwen Ogien, Virginia Woolf, Henry James, Thomas Mann, Kafka, Ernst Weiss, Pierre Bayard, Muriel Cerf... jolis compagnons de nuits à venir. Dominique, quant à elle, est déjà dans l'organisation des jours à venir. Au programme, deux cafés-philo, l'un sur Spinoza, l'autre sur le thème du Courage, dans une maison de retraite. "J'aime rencontrer tous les âges."
Et puis aussi : 

"Je voulais avoir plusieurs vies." 

                                                                                                                                        Luc Tartar


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